Le vagabond et son ombre G. Nagarajan
Ce brahmane déconcerte : à travers une ultime décennie de bohème et d'errance, cet homme de bonne caste, d’une carrure tant physique qu’intellectuelle au-dessus de la moyenne, abolit toute respectabilité et s’applique à s’autodétruire. Telle est l’image que GN laisse de lui-même en fin de vie, réussissant ainsi à brouiller notre vision de son œuvre par l’ombre qu’il projette inévitablement sur elle. Ecrivain d’une rigueur et d’une densité rares, ses thèmes et son style incisif tranchent sur une littérature tamoule de coteaux moyens, plus tournée vers le divertissement. Il lui impose un monde étranger à son lectorat bourgeois et fort peu exploré en tamoul avant lui, celui d’un ‘prolétariat’ urbain grouillant de vie. Sans jamais sombrer dans le misérabilisme ni dans l’idéologie progressiste des intellectuels militants qu’il a fréquentés d’abord, il anticipe brillamment d'une génération sur l’explosion globale des littératures ‘dalit’ mais sans pour autant être intégré à celles-ci. Seul, ignoré ou admiré, il reste largement à découvrir. Son œuvre de fiction, ni réaliste ni populiste, est d’une précision clinique. Le talent de l’écrivain, très conscient mais rebelle à toute théorisation, consiste à peindre en l'éclairant de la lumière la plus crue, sous des angles variés mais toujours impitoyables, la société dans laquelle il situe une action exorcisée de toute métaphysique comme de tout misérabilisme, imperméable à toute sensiblerie, une vision du monde à travers ses soubassements. C’est par en-dessous qu’il en lait découvrir les mécanismes, intéressé par les manipulateurs de tous calibres, petits truqueurs ou ‘brokers’ parvenus, autant et plus que par leurs victimes, fasciné par la complexité des comportements humains et de leur enchaînement.