Les lilliputiens de la centralisation des intendants aux préfets, les hésitations d'un modèle français
Dans La Comédie humaine, Balzac pourfend à diverses reprises un modèle français incarné par ceux qui dans chaque département représentent le pouvoir central : les préfets. A ses yeux, la Nation tout entière serait comme prisonnière de " fils lilliputiens " maniés par les représentants d'un Etat " centralisateur ". Brocardés par toute une littérature au XIXe siècle, ces mêmes préfets ont souvent été perçus, depuis Tocqueville, comme les héritiers naturels des intendants. Si cette idée d'une continuité entre les efforts " centralisateurs " de la monarchie dès l'Ancien Régime et l'influence du " jacobinisme " sur la France a été remise en cause par les historiens, force est de constater qu'elle imprègne aujourd'hui encore l'historiographie et le " grand public ". Il est vrai que certaines continuités existent entre les hommes que l'autorité centrale a tour à tour choisis comme représentants dans les provinces, car le contrôle et la connaissance du territoire national restent fondamentaux pour tout pouvoir. Différents personnages se sont ainsi succédé au fil des temps et ont matérialisé en France la présence concrète d'un Etat par nature abstrait. En supprimant les intendants en 1789, la Révolution a pourtant voulu faire disparaître tout intermédiaire entre pouvoir central et pouvoirs locaux. Mais, face à ce vide, sitôt que le pays est entré dans une crise multiforme, elle a dû se résoudre à innover dans l'urgence. Avec force hésitations, la recherche de solutions nouvelles a ainsi fait naître successivement les représentants du peuple en mission, les commissaires centraux du Directoire, puis les préfets. Tous ces personnages ont été l'objet d'appréciations sévères, voire de légendes noires pérennes, tant il est vrai que la critique de l'Etat et de son poids est presque devenue une sorte de sport national. Alors que la France est entrée depuis 1982 dans une phase dite de " décentralisation " et que fleurit un discours capable de vanter les vertus du " global village " mondial autant que les mérites d'une politique de " proximité ", le présent ouvrage entend rappeler ce qu'ont été les hommes du pouvoir dans les provinces françaises du XVIIe siècle à 1800, avec leurs similitudes aussi bien qu'avec leurs profondes différences. Le lecteur y trouvera matière à réflexion sur notre modèle national de res publica, sur ses racines ainsi que sur nombre d'idées reçues.