Françoise Vergès

Décoloniser le musée

Programme de désordre absolu

Laurence Favre

La planėte est devenue inhabitable et irrespirable pour des milliards d'êtres humains, tandis que mers, rivières, forêts, animaux. oiseaux, poissons sont littéralement asphyxiés. La multiplicité des assauts contre la dignité et la vie provoque un sentiment d'impuissance: où frapper la machine? Comment I'enrayer? Mais les luttes quoti- diennes pour la liberté et la dignité, contre l'extrac- tion et la guerre permanente montrent qu'il n'y a pas un jour, à différents endroits, où des manifestations, des protestations, des créations de refuges et de sanc- tuaires défient l'ordre du monde. La décolonisation consiste à créer les conditions de la nécessaire abo- lition de ce monde. I ne'arit

Les inégalités structureles de race, de classe et de genres qui existent au sein du musée font écho aux inégalités structurelles globales créées par l'escla- vage, la colonisation, le capitalisme racial et l'impé- rialisme. 

Le musée a accompli un formidable retournement rhétorique en masquant les aspects conflictuels et criminels de son histoire et en se présentant comme un dépôt de l'universel, un gardien du patrimoine de l'humanité tout entière, un espace à chérir, protéger et préserver de toute contestation, un espace sanctuarisé, loin des désordres du monde. Sa neutralité ne doit pas être remise en cause. Le ton y est feutré, le dialogue désintéressé, loin des excès et des intempérances: les grèves de ses employé-es, les protestations ou les occupations qui s'y déroulent sont jugées de très mauvais goût. 

La décolonisation dont il est question ici ne concerne pas le moment historique où les anciennes colonies accèdent à l'indépendance, mais l'abolition d'un ordre inique, marqué par la violence systémique, I'état de guerre permanente, tions coloniales et militaires - Palestine, Cachemire. Falkland, Assam -, la construction d'enclaves ou les riches se réfugient, où des corporations effectuent des extractions sous la protection de soldats, poli- ciers ou mercenaires, d'immenses plantations où femmes, enfants et hommes sont esclavagisé es, les sols contaminés et épuisés... 

Le désordre n'est pas le chaos mais la remise en cause de ce que les puissants appellent l'ordre du monde, monde qu'ils ont construit et qu'ils ne cessent de solidifier, qu'ils voudraient immuable quand bien même son organisation et son fonctionnement ne cessent d'être contestés. 

La définition de la notion de propriété privée dans le droit occidental fut fondamentale pour légitimer le vol. Devenu propriété de la nation, et donc du peuple européen ou nord-américain, l'objet volé, pour être restitué, doit chaque fois bénéficier d'une décision de justice qui le libère de sa qualité de propriété inaliénable. Ce tour de passe-passe qui fait d'un objet volé, pillé, malhonnêtement acquis ou acheté la propriété légale d'une institution ou d'un particulier montre la perversion du droit colonial. La généalogie patriarcale et coloniale du droit de propriété imposé au monde non européen a conduit à ce que, pour réclamer un objet qui leur a appartenu, un groupe, une communauté ou un peuple doivent négocier sa restitution à l'intérieur du droit qui les a dépossédés de leur propriété.

Autrement dit. la focalisation sur la pertinence ou non des actions des écologistes permit d'éviter de mettre en lumière les liens entre l'extractivisme industriel (pétrole, gaz, charbon) et l'extractivisme des euvres qui a contribué à la richesse du musée occidental.

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