Les cibles intracytoplasmiques
L'image de la cible incite à la métaphore guerrière, je l'ai déjà empruntée plusieurs fois. Je persévère ici pour évoquer les cibles cytoplasmiques. Le tireur d'élite ne manque pas son coup et respecte les cibles non visées ; il se vante de sa frappe "chirurgicale". En revanche, le soldat maladroit tire régulièrement à côté ou bien inflige de nombreux dégâts collatéraux. Enfin, le commando à l'attaque arrose avec générosité tout ce qui se présente devant lui. Dans l'idéal de la thérapie ciblée, c'est le premier qui s'impose. Ce volume témoigne de ce que la réalité est souvent différente. Parfois, la cible semble évidente tant elle est souvent impliquée dans la cancérogenèse, tel RAS et ses équivalents dont traite ici Gilles Favre (Toulouse) ou, pour ce qui concerne les syndromes myéloprolifératifs, JAK évoqué par François-Xavier Mahon (Bordeaux). Les résultats sont hélas décevants. D'autres fois, la maladresse du tir semble en assurer, au moins en partie, l'efficacité ; ainsi en est-il des inhibiteurs d'ABL. Dans le cas des antagonistes de la dégradation des protéines par le protéasome, Mohamed Mohty (Nantes) montre que la remarquable efficacité observée dans le myélome de certains cancers ne peut être attribuée à la précision du ciblage : l'activité inhibée intervient dans de nombreuses voies. Quant aux cibles logiques que constituent les MAP-kinases (Jean- Marie Darbon, Montpellier), la P38 Kinase (Chantal Dreyer et al., Paris), les protéines de stress (Carmen Garrido et Eric Solary, Dijon) et la bêta-caténine (Christine Perret, Paris), la place que prendront peut-être leurs inhibiteurs parmi les anticancéreux reste à établir. En définitive, l'observation empirique des effets des produits plus ou moins spécifiques utilisés reste indispensable. Elle peut aboutir à des surprises. Les inhibiteurs de p38, par exemple, se révèlent surtout actifs sur... les douleurs dentaires ! Ces commentaires ne se veulent pas désabusés, mais lucides : la stratégie ciblée est rationnelle, son efficacité l'est parfois moins, au moins en apparence.