La mémoire de l'eau roman

Je lui demandai une fois ce qu'il pensait des pieds opérés d'autrefois, et j'avais eu droit à un long discours qui, selon moi, était d'une grande justesse : " Le fait, dit-il en secouant sa tête, qu'on se faisait bander les pieds autrefois n'est pas si mauvais qu'on l'imagine aujourd'hui. Les modes changent avec le temps, alors que les hommes (et les femmes) demeurent les mêmes, comme ces lotus qui par nécessité s'installent éternellement dans la boue en dépit de l'eau qui coule sans cesse. Comment pourrions-nous comprendre les mœurs d'autrefois dont le sens nous échappe ? Nous avons nos mœurs à nous et, dans cinquante ans ou moins, elles seront l'objet de critiques de la part de ceux qui en auront d'autres tout aussi éphémères et impérieuses. Qu'importe. Ce qui me concerne le plus aujourd'hui, ce ne sont pas les pieds du passé, bandés ou non, ni les pieds de l'avenir, agrandis ou non, mais bien les pieds chaussés de souliers à talons hauts ou à talons plats. " Gao-Long était plus grand que moi de vingt centimètres. Il préférait que je porte des souliers à talons hauts pour sortir avec lui. D'ailleurs, les chaussures en coton l'ennuyaient.