Antoine et Alfred 03 - Alfred et la lune cassée
Extrait : À Richard, le patron du Toulouse, pour m'avoir parlé d'une île. Chapitre 1 Alfred avait la migraine. Il s'était retiré dans sa chambre au grenier et essayait de dormir. Tout le monde devait marcher sur la pointe des pieds. Marie-Anne ne pouvait préparer son gâteau au chocolat pour le souper: le bruit du malaxeur aurait mis le rat en colère. Elle avait également fermé la radio, Antoine avait éteint la télé, Judith devait babiller à voix basse (à voix basse!) et quand monsieur Brisson arriva de son travail, Alain se précipita vers lui, un doigt sur les lèvres, pour lui signifier de refermer doucement la porte. En somme, c'était un samedi plate à mourir. — Que se passe-t-il? demanda Jean-Guy. Ah non! pas encore une migraine! Ça devient invivable. Il faut consulter un médecin. — Ce sont les soucis d'argent, murmura Antoine, lugubre. Alfred n'est pas fait pour la richesse. Il a peur des voleurs, des mauvais placements, il passe les nuits dehors à fouiner dans les magasins, soi-disant pour «décider de ses futurs achats», mais il n'achète jamais rien. Est-ce qu'il serait devenu avare, papa? — Avare? Euh... je n'en ai pas la moindre idée. — Avare ou pas, tout ça démolit le foie. Mon professeur m'a dit que la migraine vient souvent d'un foie malade. — Que faire? soupira Alain. — Combien a-t-il en banque? demanda Marie-Anne. Jean-Guy sortit un livret de sa poche: — 52 287,33$, très exactement: 40 000$ pour avoir trouvé le tableau de Rembrandt* et le reste en salaire de Robinet. Antoine secoua gravement la tête: — Il est vraiment riche. Il est presque aussi riche que moi. — Mais, depuis un mois, il n'arrête pas de maigrir, déplora Alain avec des larmes dans la voix. Et il n'a plus aucun entrain. Il n'a même plus le cœur de nous engueuler. Si ça continue ainsi... — On parle de moi? murmura une petite voix glaciale. Alfred venait d'apparaître dans la porte de la cuisine, un minuscule sac de glace sur la tête, et les fixait d'un œil peu aimable. — Oui, Alfred, répondit Marie-Anne, on parle de toi. Depuis quelque temps, tu nous inquiètes. — Le monde irait bien mieux, remarqua-t-il en replaçant le sac sur sa tête, si chacun se mêlait de ses affaires. — Écoute, mon garçon, rétorqua Jean-Guy, tu fais partie de notre famille. Tes affaires sont un peu les nôtres, non? Ça te déplaît? — Plus rien ne me déplaît, plus rien ne me plaît, murmura Alfred, accablé. Un coup de marteau sur la tête ou une caresse sur le museau, c'est pour moi du pareil au même. * Voir Alfred sauve Antoine.