Qu Qiubai, 1899-1935 "des mots de trop," (duoyu de hua) : l'autobiographie d'un intellectuel engagé chinois
Le 18 juin 1935, un homme de 36 ans, qui ete un important dirigeant du parti communiste chinois, Qu Qiubai (Ch'u Ch'iu-p'ai), laisse en arriere au depart de la Longue Marche et capture par le Guomindang, est fusille dans une bourgade du Fujian: il meurt dignement apres avoir bu une verre d'alcool de riz et chante l'Internationale, dans la traduction chinoise dont il etait lui-meme l'auteur. Quelques jours avant son execution, il avait redige une autobiographie, les Mots de trop, ou il presentait sa vie comme un malentendu fondamental, celui d'un lettre engage par erreur dans les combats politiques, afin de ne pas vivre en parasite de la societe. Ce destin tragique d'un grand intellectuel, a qui l'Internationale Communiste puis Mao Zedong ont fait porter la responsabilite d'une ligne politique aventureuse conduite sous sa direction entre l'ete 1927 et l'ete 1928, a donne lieu a des appreciations contradictoires. Qui fut-il en effet? Un dandy qui declamait dans les parcs publics de Moscou du Pouchkine a de jolies dames qu'il voulait seduire? Un theoricien dogmatique plus ou moins plagiaire qui abusait de sa maitrise de la langue russe pour se travestir en penseur marxiste? Un grand lettre dont le style suscitait l'admiration de Lu Xun, le meilleur ecrivain de la Chine moderne? Un bouddhiste mystique en quete d'illumination qui croyait la trouver dans l'embrasement de la Revolution mondiale proletarienne? Successivement, il fut considere a Pekin comme un martyr, a Taiwan comme un communiste au coeur tendre, tenu pour un traitre par les Gardes Rouges qui profanerent sa tombe durant la revolution culturelle, puis rehabilite en catimini par Deng Xiaoping dans les annees quatre-vingt. Ce livre est construit autour de cette autobiographie encore inedite en francais, dont la version chinoise a ete soigneusement etablie par Wang Xiaoling, maitre de conference a l'universite de Paris VII Denis Diderot, qui demontre son authenticite et en propose une traduction rigoureuse. Avec Alain Roux, professeur emerite a l'INALCO (Langues O), elle cherche a en evaluer la signification. Une lacune est ainsi comblee dans notre connaissance de cette douloureuse mutation des lettres chinois en intellectuels modernes qu'il faut essayer d'analyser si l'on veut comprendre tant soi peu le monde chinois actuel qui fascine, etonne et deroute les meilleurs esprits.