Le soufisme en Égypte et en Syrie Sous les derniers mamelouks et les premiers ottomans. Orientations spirituelles et enjeux culturels
Les recherches sur le soufisme souffrent souvent d’une fâcheuse dichotomie. En effet, les unes privilégient une approche philologique centrée sur l’analyse intemporelle des doctrines ; les autres, usant des outils de l’historien, du sociologue ou de l’anthropologue, s’attachent surtout à fournir des phénomènes religieux étudiés une explication locale, mais ne sont pas assez attentives aux « traits permanents de la spiritualité en islam ». En donnant pour cadre à son travail l’islam syro-égyptien à une époque charnière de son histoire, Eric Geoffroy évite à la fois le minimalisme décevant de monographies trop étroites et le flou artistique de synthèses trop larges. Il est constamment soucieux, d’autre part, de confronter « temporel et intemporel », « histoire et métahistoire ». De ce point de vue, sa thèse apparaît donc comme une contribution significative aux efforts de tous ceux qui se préoccupent d’associer des démarches dont la cohabitation, aussi rare que féconde, conduit à remettre en cause des clichés régulièrement dénoncés mais dotés encore d’une extraordinaire résilience. Appuyé sur l’examen scrupuleux et pénétrant de multiples sources, dont beaucoup demeurent manuscrites, cet ouvrage, écrit dans une langue ferme et claire, présente la vie religieuse - et pas seulement du soufisme stricto sensu -, à la fin de l’époque mamelouke et au début de l’ère ottomane, un tableau riche de nuances. En définitive, c’est à bon droit qu’Eric Geoffroy affirme à la fin de son ouvrage que, sous toutes ses formes, les plus hautes ou les plus populaires, le tasawwuf occupe dans l’époque qu’il décrit une position « centrale et dominante ». Michel Chodkiewicz