La sociabilité des cœurs Pour une anthropologie du roman sentimental
Les Lumières amorcent brillamment la plupart de nos idéologies modernes. Elles se délectent en même temps d’une production romanesque devenue largement illisible puisque desservie par un pathétique aussi outrancier que stéréotypé. Ce pathétique envahit aussi le théâtre et imprègne d’abondantes correspondances. La verve critique des Philosophes fait ainsi bon ménage avec un esprit de sérieux sentimental, auquel même Voltaire, si doué pour saisir au premier coup d’œil le ridicule de tous engouements, sacrifie au long d’une vingtaine de tragédies. Réputées aujourd’hui injouables, elles auront été au cœur de sa popularité d’époque. Il y a là une manière de scandale, ou du moins de paradoxe irritant. L’accès de mauvais goût le plus impardonnable de toute la littérature française (ce qui n’est pas peu dire) se trouve être le fait de ceux qui auront fondé aussi– par ailleurs ou du même mouvement, c’est selon – notre monde moderne. Il s’impose donc de chercher à comprendre, à défaut de pouvoir encore les partager, les délices de la sensibilité. Le présent recueil y tâche pour sa part en relisant ce corpus devenu indigeste devant l‘horizon des ‘mentalités’. Paul Pelckmans (°1953) est professeur de littérature française et générale à l’Université d’Anvers. Recherches sur le roman d’Ancien Régime. Auteur de plusieurs monographies, dont Cleveland ou l’impossible proximité (Amsterdam, Rodopi, 2002) et Le problème de l'incroyance au XVIIIe siècle (Québec, CIERL, 2010).